KAMISAKA SEKKA, « LES HERBES DE L’ÉTERNITÉ » : UN PONT ENTRE ORIENT ET OCCIDENT
On ne peut que se réjouir, dans l’équipe Ôtsuki Sama, de la parution de ce sublime coffret, comprenant les trois volumes des « Herbes de l’éternité », initialement publiés en 1909/1910, soit 60 planches formées chacune d’une double page.
Le nom de leur auteur, figure exceptionnelle des arts décoratifs japonais, Kamisaka Sekka, reste injustement méconnu du grand public en France et en Europe, alors que les Etats-Unis ou l’Australie lui ont récemment rendu hommage.
Kamisaka Sekka est né en 1866 dans une famille de samouraï, à la fin de l’époque Edo, lorsque le Japon commence à s’ouvrir à l’Occident. Il est tout à la fois artiste et artisan, et refusera toujours la frontière entre les deux : peintre, dessinateur, créateur de motifs pour les textiles, la laque, la céramique.
Considéré comme le dernier représentant de « l’école » Rimpa, qui réunit des artistes de même sensibilité, il est fortement intéressé par l’Art Nouveau, les mouvements Arts and Crafts et Jugendstil et se rend en Europe en 1900 (à Glasgow notamment) pour les étudier, ainsi que le « japonisme » alors en vogue. Il en reviendra très influencé par les thèmes, les styles et les méthodes utilisées en Occident.
« Les Herbes de l’éternité » (Momoyogusa) est considéré comme son oeuvre maîtresse.
Ce qui frappe immédiatement, c’est l’extrême modernité et intemporalité de ces feuilles. Chacune d’entre elles, d’une grande puissance évocatrice, attire le regard, charme le lecteur, et raconte une histoire. Les thèmes sont classiques: le végétal, la littérature, les divinité, les paysages, mais traités avec une grande modernité et un travail remarquable sur les couleurs.
Penchons-nous sur quelques unes: « La grande vague » (Tatsunami) est un thème repris par beaucoup de peintres japonais. Elle est ici à la fois simplifiée et stylisée, immense et blanche sur le bleu de la nuit et la lune argentée.Même traitement de l’image dans « Le mont Fuji » (Fuji): Sekka se concentre sur un élément, ici le blanc de la neige, qui contraste avec le fond ocre et l’ombre bleue tout à gauche, renforçant encore la majesté du volcan en hiver.
On retrouve ce choix de n’utiliser que trois ou quatre couleurs, dans des teintes pastels (rose, jaune) cette fois-ci, dans le beau et très raffiné » Les rizières au printemps » (Haru no taomote). Grands aplats, contours soulignés, dépouillement à l’extrême.
« Le prunier près de l’auvent » (Nokiba no ume) est un bon exemple de la technique du tarashikomi,
l’application de peinture sur une zone déjà peinte et non sèche afin d’obtenir un effet de lavis. Le dessin est très simple: une fermette à la fenêtre grillagée, devant laquelle se trouve un prunier, dont nous voyons le tronc et une frêle branche à la courbe élégante parsemée de quelques fleurs délicates.
Et que dire de ces somptueux iris, symbolisés par le bleu-violet, dans « Les huit ponts » (Yatsubashi) ! Manuella Moscatiello souligne dans son excellent livret de présentation du coffret que la maison Hermès, à l’occasion de l’ouverture de sa boutique de Tokyo en 2001, choisit d’illustrer la une de sa revue « Le monde d’Hermès » avec ce taillis d’iris.
Pour célébrer le printemps tout proche, admirons enfin « Le troisième mois » (Yayoi). Deux femmesde style Heian (794-1185), dont on ne voit que les silhouettes, longs manteaux et grands chapeaux, se promènent sur fond de cerisiers en fleurs, symbole de la beauté éphémère. Plongées dans leur conversation, elles traversent le paysage, percevant sans nul doute la senteur des sakuras.
« Les herbes de l’éternité », Kamisaka Sekka, Editions Picquier – Présentation et traduction par Manuela Moscatiello
Nathalie Kissel