Otsuki Sama, sa Majesté la Lune

Les 12 années que j’ai passées au Japon m’ont amenée à plonger dans un
univers artistique et poétique d’une grande beauté. À travers Otsuki Sama, je
souhaite rendre hommage à la culture japonaise en m’inspirant d’un de ses
symboles les plus représentatifs : la lune.

La Lune dans la culture japonaise

La lune est omniprésente dans la culture japonaise et est profondément enracinée
dans l’art et la littérature. Elle symbolise la beauté, la pureté et la sérénité.

Grande source d’inspiration par les artistes, elle est souvent associée à la nature, à la poésie
et à la spiritualité. La lune joue également un rôle central dans certaines célébrations
japonaises. Le festival Tsukimi, (qui signifie « regarder la lune ») a lieu chaque année
en automne, à l’occasion duquel les japonais rendent hommage à la lune en offrant
des gâteaux de riz et décorant leurs maisons avec des herbes et des fleurs.

Illustration « Tsukimi » Valérie Laudier

L’art japonais ne fait pas exception. Pleine lune étincelante, demi-lune, lune croissante ou décroissante, elle est représentée sous toutes ses formes. Pendant la
période Edo (1603-1867), les estampes ukiyo-e représentent souvent la lune dans
leurs scènes, elle est un motif récurrent. Élément central ou en arrière-plan, elle
permet en général à l’artiste, de créer un contraste entre la lumière et l’obscurité.
Utagawa Hiroshige (grand maître de l’estampe) peint « la
vue nocture du quartier de Sakurawa-Machi » (qui compte parmi les 118 estampes de la série
les Cent vues d’Edo), estampe dans laquelle la lune est un point essentiel de lumière
éclairant les habitants d’Edo dans une scène de vie quotidienne.

Pendant l’ère Meiji, Yoshitoshi fut l’artiste le plus prolifique et le plus marquant de
l’estampe japonaise. Son œuvre « Les Cent aspects de la Lune », composée de cent
estampes, est considérée comme sa plus grande réalisation. La série donne vie à
l’histoire et à la mythologie du Japon ancien. Dans les 100 gravures, la lune figure en
bonne place, soit clairement visible dans le dessin lui-même, soit mentionnée dans le
beau poème du cartouche de texte.

Oban tate-e, de la série « Les cent aspects de la lune », Yoshitoshi

« Cent phrases pour éventail » de Paul Claudel

Poète, dramaturge et diplomate français, Paul Claudel (1868 – 1955) a été
profondément influencé par la culture japonaise. Fasciné par les arts japonais, il a en
particulier contribué à développer la notoriété du théâtre nô en Europe. Sa poésie est
imprégnée de l’influence du Japon, comme le témoigne Ode à la lune qui s’inspire de
la poésie japonaise classique.
Ce sont l’esthétique et les traditions japonaises qui ont inspiré à Paul Claudel Cent
phrases pour éventails. Ce recueil de poèmes courts destinés, comme son nom
l’indique, à être inscrits sur des éventails, explorent différents thèmes. On y retrouve
la nature, la spiritualité, l’amour, la mort et la lune. Les poèmes sont écrits dans un
style souvent énigmatique et symbolique, caractéristique de la poésie de Paul
Claudel.

Dans ce poème, le O, calligraphié à part, représente la lune.

L’inspiration d’Otsuki Sama

Dans la préface de son recueil Cent phrases pour éventails, Paul Claudel écrit :


« Il est impossible pour un poète d’avoir vécu quelque temps
en Chine ou au Japon sans considérer avec émulation tout
cet attirail là-bas qui accompagne l’expression de la pensée :
le bâton d’encre d’abord aussi noir que notre nuit intérieure,
on le frotte, humecté d’un peu d’eau sur une plaque d’ardoise
et un godet recueille le jus magique. Il n’y a plus qu’à y tremper,
peintre de l’idée ! ce pinceau léger et comme aérien qui le long
de nos phalanges communique au fond de nous à la déflagration
du poème. »


Alors élève calligraphe à Tokyo, j’ai vu dans ce court texte, l’interprétation exacte de
sensations éprouvées pendant mes heures de pratique, que je ne pouvais exprimer.
Écrites à la manière de haïkus, ces 172 phrases sont comme une lecture en langue
occidentale de la poésie japonaise. Comme Buson ou Bashō, maîtres Haïku du
XVIIème siècle, Paul Claudel exprime l’évanescence des choses avec élégance et
raffinement. Comme dans la poésie japonaise classique, Paul Claudel associe la lune à
la beauté et à la sérénité. Elle lui permet d’exprimer des émotions complexes telles
que la tristesse ou la nostalgie. Elle est également celle qui éclaire la nuit, la source de
lumière dans les ténèbres. Il n’est d’ailleurs pas avare lorsqu’il s’agit de la nommer :
« perle dans le ciel », « fleur épanouie », « lampe suspendue au fond du ciel » ou
encore « O tsuki Sama », sa Majesté la lune…


Otsuki Sama reflète pour moi, tout cet univers poétique et artistique dont je suis
profondément éprise. Et c’est avec sincérité et passion, que j’essaie par le biais de
mes créations, de transmettre à ma manière, la beauté pure et poignante de la
culture japonaise.

Valérie Laudier

Envolée de papillons et lune dorée sur vase en porcelaine de Sèvres – Valérie Laudier