« Huit maîtres de l’ukiyo-e », à la Maison de la Culture du Japon à paris
Dès l’entrée, on s’arrête pour contempler longuement « Le jouvenceau aux chrysanthèmes », personnage ondulant portant un long kimono très raffiné, aux teintes rosées. Tête légèrement inclinée, il regarde la courbe d’une rivière bordée de chrysanthèmes jaunes et roses……. . La jeune fille est l’incarnation d’un ermite chinois ayant atteint l’immortalité grâce à la rosée des fleurs de chrysanthèmes et le peintre, Suzuki Harunobu, un des maîtres de l’estampe japonaise, à l’origine du procédé d’impression en plusieurs couleurs permettant d’obtenirl’effet de brocart (nishiki-e). C’est à un somptueux voyage dans le temps que nous conviait la Maison de la Culture du Japon à Paris, en exposant 150 estampes de la collection Gregorios Manos, prêtées par le Musée National d’Art asiatique de Corfou. Retour à l’ère Edo, sous le shôgunat des Tokugawa qui vit la naissance d’une nouvelle classe, les chônins, citadins sans pouvoir politique mais enrichis, mécènes d’un art nouveau, avec ses théâtres de kabuki, ou de poupées, ses maisons de thé, ses lutteurs de sumo, ses lieux de plaisir et ses courtisanes. Ils sont devenus les thèmes préférés des estampes ukiyo-e, reflets délicats de la beauté des femmes, de la légèreté de la vie, du désir obstiné à vivre pleinement le moment présent. Tôshûsai Sharaku, un peintre énigmatique à la carrière fugace, ancien acteur Nô, s’est attaché à décrire cet univers du kabuki avec une série de 28 portraits d’acteurs célèbres. Parmi eux, « Ichikawa Omezou dans le rôle de Yakko Ippei », représenté de façon très réaliste sur un fond micacé. Parmi les « Huit maîtres de l’ukiyo-e » exposés, Utagawa Kuniyoshi, connu au XIXème siècle pour ses tryptiques de guerriers. Il est l’un des derniers grand maitre de l’estampe et a étudié la peinture occidentale, ce qui influencera son travail de l’ombre et de lumière. « Les fidèles vassaux d’Akô : Ôboshi Yuranosuke Yoshio » est issu d’une série de 51 estampes représentant chacun des vassaux d’Akô au combat. C’est un superbe guerrier dont émane une grande force, dont les deux jambes sont puissamment plantées dans le sol. Vêtu d’un kimono à médaillon, il semble sortir de la toile, prêt à parti au combat.Je m’arrête devant une silhouette longiligne et pensive, « Beauté tenant un seau à fleurs », un très beau beni-e (gravure à l’encre monochrome rehaussée de couleurs au pinceau) de Ishikawa Toyonobu. Elle représente une courtisane tenant un seau contenant des branches de pruniers, des narcisses et des camélias. Je suis attirée par le splendide n?ud de kimono« à la Heijûro » (du nom d’un acteur de kabuki) aux motifs floraux, remontant jusqu’à la poitrine. Cette courtisane est absorbée par la lecture d’un poème sur une bande de papier. Me reviennent alors en mémoire ces quelques lignes issues de « Contes du monde flottant » de Asai Ryoi (1665) : « Vivre uniquement le moment présent, se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de le fleur de cerisier et de la feuille d’érable (…) c’est ce qui s’appelle ukiyo »
Nathalie Kissel
« Le jouvenceau auxchrysanthèmes »,Suzuki Harunobu,1766