L’art du jardin zen
À l’entrée de l’automne et à quelques jours d’une cérémonie où étaient invités des hôtes de marque, Sen no Rikyu, grand adepte laïque du zen et maître de thé, avait confié à l’un de ses disciples la tâche d’entretenir le sentier de rosée. Ce jardin qui entoure le pavillon de thé est d’une extrême importance dans le rituel du cha-no-yu. Il sert à préparer les invités en les faisant passer du monde profane au lieu sacré de la Voie. L’austère chemin de dalles de pierre évoque en effet un sentier escarpé de montagne qui mène, à travers une forêt touffue, à un petit ermitage.
Le disciple s’empressa de tailler soigneusement les buissons, de couper les rameaux desséchés, d’arroser et , surtout, en ce début d’automne, il prit soin de ramasser méticuleusement toutes les feuilles mortes.
Au soir du premier jour de jardinage, alors que Sen no Rikyu traversait le sentier, son disciple lui demanda si cela lui convenait. Le maître d’une moueréprobatrice dit :
– Non, c’est loin d’être parfait.
Le lendemain, dès que les premiers rayons de soleil léchèrent la rosée, le disciple était déjà au travail. Il traqua la moindre brindille qui jonchait encore le sol, brossa les dalles et la lanterne de pierre puis arrosa abondamment les mousses pour faire ressortir leur brillance. Quand le maître vint dans l’après-midi, sa sentence fut la même. Le disciple ne pouvait trouver le sommeil.
Dès l’aube, l’apprenti se remit au travail. Il inspecta chaque lichen, pierre, caillou même, à l’affût de la moindre impureté. Il trouva bien encore quelques épines de pin, brossa à la main les mousses ternies par la fine poussière. Et sansoublier, bien sûr, de traquer les feuilles mortes que le vent d’automne faisait inlassablement tourbillonner.
En fin de journée, après des heures de dur labeur, le disciple contempla son oeuvre. C’est alors que l’énigmatique maître dit dans son dos ces paroles :
– Décidément, tu n’as rien compris à l’esprit du jardin de thé !
Puis il agrippa les branches d’un arbre qu’il secoua vigoureusement. L’allée fut alors émaillée de l’or et du pourpre de feuillesmordorées, symboles mêmes de l’automne et du sentier du dépouillement.
C’est ainsi que le maître des maîtres mit son disciple sur le chemin du secret du rituel du vide et du plein, que le seul le poète peut évoquer :
Les feuilles de chêne
Rougies de l’automne
Tombent, sont entassées sur le sentier
D’un vieux temple montagnard.
Comme ce chemin est solitaire !
Sen no Rikyu