Sept nuances de bleus indigo
Mes expérimentations avec l’indigo m’avaient fait graviter autour d’Aboubakar Fofana depuis très longtemps. Son travail était devenu pour moi incontournable et son compte Instagram m’offrait des démonstrations de plus en plus éclatantes de son savoir-faire subtil.
Je me devais d’arriver à rencontrer celui qui sillonnait le monde entier pour transmettre son art. Rendez-vous finalement pris à Coudray-Macouard, village de caractère près de Saumur, dans la si jolie maison XVIIIème de Johana, australienne, amoureuse des textiles anciens qu’elle chine depuis plus de 20 ans !
Dans cette belle atmosphère sereine, vêtu de sa tenue de travail, crée par ses soins, chaussé de Tabi traditionnelles, Aboubakar Fofana préside la séance au milieu de cuves encore vide du contenu précieux.
C’est alors que je découvre une nouvelle approche, plus lente et plus recueillie que celle que j’ai jusqu’à maintenant expérimentée autour de l’indigo.
La première journée consista à remplir deux grandes cuves (plus ou moins concentrées) à partir de pigments d’indigo, chaux et fructose avec l’ultime étape du mélange de la poudre d’indigo avec de l’eau dans un mortier jusqu’à l’obtention d’une pâte onctueuse. Une fois les trois ingrédients (la pâte d’indigo, le fructose et la chaux) vigoureusement mélangés dans la grande cuve d’eau très chaude, une mousse bleutée légère et dense (aussi appelée fleur d’indigo) à la surface apparaît et indique que la magie de l’indigo pourra enfin avoir lieu.
Quelle fut notre surprise lorsque Johana apporta des bandes d’un coton ancien blanchi et pur pour nous lancer dans l’immense défi de les teindre dans 7 nuances de bleus à un rythme de contraste régulier offrant une belle musicalité.
C’est alors qu’Aboubakar nous montre l’exemple, trempant avec douceur les bandes de tissu et manipulant lentement l’étoffe sous l’eau opaque entre ses doigts pour imprégner le textile. Tout se passe de façon cachée, à l’abri de la lumière et de l’air. La première bande est immédiatement plongée dans l’eau claire ; une offrande que nous faisons à la déesse de l’eau, pour qu’elle nous accorde un travail sous les meilleurs auspices. Il en résulte un bleu à peine présent, un souffle couleur de ciel voilé ou encore « the blue of nothingness ».
À notre tour de répéter ce geste tranquillement et un ballet s’improvise alors entre le trempage, l’oxydation, le rinçage, le retrempage, le séchage… une bande de coton après l’autre jusqu’à l’obtention de 7 nuances de bleus aux tonalités les plus envoûtantes.
Aboubakar Fofana travaille une couleur vivante, née dans les brumes et la mousse d’une cuve aux reflets sombres et profonds. Il sait à merveille véhiculer la tradition indigotière séculaire d’Afrique de l’Ouest.
Son désir de porter la culture liée à l’indigo végétal, mis à mal par l’indigo synthétique depuis le XIXème, l’a conduit non seulement au partage de ses savoir-faire par le biais d’ateliers, mais aussi à la création d’une ferme située au Mali. Une plantation indigotière y est née car Aboubakar souhaitait relancer une filière de production d’indigo végétal écologique dans son pays natal. Il y associe du coton biologique et crée un atelier qui réunit des artisans autour de la teinture et du tissage.
Lauréat de la Villa Médicis Hors les Murs dans la catégorie design pour le projet « Sublime Indigo ». En 2003, Aboubakar Fofana a été nommé dans les catégories «Raretés » et « Prix du Jury ». Il a ensuite été résident de la Villa Kujoyama pour un séjour de 6 mois de janvier à juin 2005.