Une exposition « coup de coeur » : Hiroshige et l’éventail, ou l’art de l’estampe sur éventail

Utagawa Hiroshige, l’un des artistes japonais les plus emblématiques du 19ème siècle, est à l’honneur au musée national des arts asiatiques Guimet de Paris qui lui consacre une exposition inédite. Et c’est non sans une certaine excitation que j’ai eu plaisir à contempler la sélection exceptionnelle de 90 estampes rares de celui qui est une de mes plus grandes sources d’inspiration.

Réalisés entre 1830 et 1850 pour décorer des éventails, ces estampes sont issues de la Collection Georges Leskowicz. Elles révèlent des visions de la ville d’Edo (aujourd’hui Tokyo), des portraits de femmes, des paysages, des scènes bucoliques d’oiseaux et de fleurs, ainsi que des scènes historiques et littéraires.

Voyage dans le Japon du 19ème siècle.

L’éventail, de l’usage domestique à l’art

Aux origines de l’éventail plat

Les premiers éventails plats japonais, dont le modèle vient de Chine, étaient des écrans de cérémonie ou de parade en bois. Fixés sur un long manche et destinés à masquer le visage d’une personne de haut rang, ils étaient un insigne de pouvoir.

L’éventail à la main, qui s’imposa pour un usage domestique, appelé « uchiwa » 団扇 (dont les idéogrammes signifient « chasse-mouches ») se distingue de l’éventail pliant (brisé ou plissé), appelé « oogi » 扇, qui est une invention japonaise remontant à l’époque de Nara (710-794), introduite en Chine par des moines japonais dès la fin du 10ème siècle, puis en Europe par les marchands portugais au 16ème siècle.

Les uchiwa ordinaires furent longtemps réalisés à partir de feuilles de palmier ou de bananier avant que n’apparaisse à la fin du 16ème siècle le modèle constitué d’une armature en bambou recouverte de papier. Cet accessoire devenu un objet utilitaire et décoratif, commença alors à être orné de peintures, par les artistes de l’école Ripa à Kyoto, répondant à la demande de la bourgeoisie.

L’essor de l’estampe pour éventails au XVIII ème siècle

À cette époque, l’éventail imprimé, devenu un véritable accessoire de mode féminin, s’adressait au même public que celui des estampes ukijo-e. Sa production était suffisamment importante pour qu’une corporation d’éventaillistes soit fondée à Edo au début du 18ème. À cette époque, les éventails étaient vendus à la criée, par de jeunes colporteurs. Ils furent ensuite progressivement proposés à la devanture de marchands de gravures et de livres illustrés.

L’éventail d’Edo

Apparut dans les années 1810, ce type d’éventail en forme d’ellipse, qui servit de support aux gravures de Hiroshige, est particulièrement adapté au format rectangulaire des ukiyo-e. On lui donna le nom « d’éventail d’Edo » (Edo uchiwa) car il se distinguait par sa forme de ceux produits dans d’autres régions du Japon. C’est aussi à partir de 1810 – signe que la production devint massive – que les feuilles furent soumises, comme les autres estampes, au contrôle de la censure et durent porter un cachet.

Les principaux imagiers de l’ukiyo-e (estampes) de la première moitié du 19ème siècle produisirent des estampes pour éventails.

Hiroshige ne fait pas exception et on ne connaît de lui que de très rares feuilles d’éventails montées sur leur armature d’origine. La plupart des gravures qui ont été conservées sont, paradoxalement, celles qui ne furent jamais utilisées. La très grande fraicheur de leurs couleurs, la qualité des dégradés attestent que ces feuilles ont été conservées reliées en albums factices par des marchands, voire des collectionneurs, les préservant ainsi de la manipulation et de la lumière.

L’art de l’éventail, selon Hiroshige

Fabrication et typologie des éventails de Hiroshige

Les éventails d’Edo ont pour particularité leur format en ellipse, mais aussi leur structure. Le manche et l’armature sont en effet réalisés à partir d’une seule et même canne de bambou, d’un diamètre d’environ 1,5 cm et d’une longueur approximative de 35 cm, un matériau choisi pour sa légèreté et sa robustesse. Pour les gravures de grande qualité, trente à quarante passages de couleurs étaient appliqués, et le bambou utilisé pour l’armature, de la variété medake, est réputé pour sa qualité et sa flexibilité.

La grande période de réalisation de ces estampes pour éventails par Hiroshige fut de 1840 à 1850, qui sont celles de la maturité de l’artiste. Elles peuvent être classées en six grands ensembles thématiques :

1- Les sites célèbres d’Edo et des provinces du Japon

Plus de la moitié des estampes pour éventails concernent les sites célèbres, car Hiroshige est avant tout le peintre du paysage, des lieux naturels et des routes du Japon.

Vue authentique des huit ponts de la capitale de l’Est, 1849
Le char de la hallebarde de la fête de Gion à Kyoto
Sites célèbres d’Edo : Les fleurs, vers 1849-1851
Sites célèbres d’Edo : La Neige, vers 1849-1851

2- Les portraits féminins

Sites célèbres d’Edo associés aux trois astres : La Fête des étoiles de Yanagishima, 1856
Le charme de la rosée nocturne sur les iris d’eau, 1858

4L’histoire

Sites historiques d’Edo : image d’antan de la barrière Kasumigaseki

4- La littérature

Neige, lune et fleurs, Histoires de jadis ou les Divagations d’un vieillard, vers 1844-1846
Texte de Ryukatei Tanekazu, Artisans célèbres : Le Peintre, Ukiyo Matahei, vers 1844-1846

5- Les images parodiques

Danses anciennes : La Danse de la fête des morts, vers 1842-1846

6- Les estampes de fleurs, d’oiseaux et d’animaux

Les sept plantes d’automne sous la lune, 1840
Pin sous la pleine lune à travers un store, vers 1849-1852

Les éventails sur le thème des fleurs, des oiseaux et des animaux relèvent d’un autre genre important dans l’œuvre de Hiroshige, qui leur consacra par ailleurs plusieurs centaines d’estampes en feuille. Ce sont aussi parmi ces œuvres que l’on trouve les feuilles d’éventails les plus élaborées, notamment par le recours à un grand nombre de couleurs.

Parcourir les éventails de Hiroshige permet de redécouvrir la diversité des thèmes de l’œuvre de cet artiste prolifique, mais aussi la perfection des compositions de ce dessinateur exigeant qui éleva au plus haut l’art de la gravure sur bois japonaise dans les dernières années de l’époque d’Edo.